Moderniser l'euthanasie en 5 points

par Céline Leheurteux, DMV et PDG d’EUTHABAG

Combien d’euthanasie avez-vous réalisée dans votre carrière? Par mois? Par année? Il y a enfin des données.

Pour un vétérinaire aux États-Unis, c’est en moyenne 9 chiens et 6 chats par mois, environ 180 par année, selon un sondage sur l’état de la profession réalisé en 2015 par la revue DVM360(1).

En Nouvelle-Zélande, en moyenne 7.2 euthanasies d’animal de compagnie par mois, soit près d’une centaine annuellement selon une étude de 2023. Ce chiffre variait de 5 à 60 euthanasies par mois pour les 361 vétérinaires interrogés(2). Il s’agit donc d’une procédure courante. Malgré cela, seulement 40,7 % des répondants avaient un protocole d’euthanasie en place dans leur pratique(2).

Cette étude publiée en 2023 nous éclaire sur la fréquence de cet acte délicat et confirme l’impression que la formation est déficiente durant les études vétérinaires et qu’elle repose surtout sur celles que donneront les autres vétérinaires lors de l'entrée du nouveau diplômé en pratique. En effet, 74.2 % des répondants n’ont pas reçu de formation sur l’euthanasie après leur formation et ont appris avec leurs collègues lors de leur entrée en pratique(2).

Comment est-ce possible que cette procédure qui est une des plus courante et des plus exigeante reçoive si peu d’attention? Pas de spécialité en fin de vie, manque de consensus sur les protocoles, préférences personnelles des vétérinaires, tabou entourant la mort? Un tabou en médecine vétérinaire? Je croyais qu’il n’y en avait pas si on se fie aux conversations que les vétérinaires peuvent avoir!

Être en mesure de fournir une expérience positive aux animaux et aux clients a été identifié comme un facteur important pour prévenir la fatigue de compassion(2).

La médecine vétérinaire évolue rapidement alors que l’euthanasie semble rester figée dans le temps. Faute de formation dans le curriculum de nos équipes, nous devons improviser et nous améliorer au fil des expériences, bonnes ou mauvaises.

Ce qui m’a poussé à vouloir faire mieux en fin de vie a été le désir d’honorer la confiance des clients et mon amour de la profession. Aucun autre domaine de la pratique ne recèle autant de déficiences et de variabilité d’un praticien à l’autre. Accompagnement de la famille dans le processus décisionnel, communication positive et compréhensible pour le public, sédation, manipulation de la dépouille et implication de la famille.

Ce qui a donné une impulsion de faire mieux, comme un coup de cravache à un cheval, a été lorsque j’ai dû euthanasier la chienne adorée de ma cliente préférée sur la table de chirurgie. La cliente que nous aimons tous tant. Élégante, dévouée, dotée d’une compréhension globale permettant de travailler dans la confiance et en équipe pour le bien de l’animal. C’est son dévouement illimité à ses animaux et son bon sens inégalé qui guide ses choix. Cette chienne a la place d’une fille dans sa vie. Elle viendra seule la chercher dans sa décapotable anglaise de collection et l’enterrera sur sa terre. Comment vais-je lui rendre la dépouille de sa chienne? L’arrière-train dans un sac-poubelle caché dans une vieille serviette sélectionnée dans le chenil? Oui. C’est tout ce que j’ai. Elle n'entre pas dans une boite de carton de nourriture en conserve de chat. L’étincelle qui me donna la force de me mettre au travail pour créer une housse mortuaire vétérinaire digne de la confiance et de l’affection de la cliente pour son animal. Je crée EUTHABAG en 2016 dans un désir d’honorer le lien et le professionnalisme de notre profession. Et les outils et la formation dont j’ai besoin en pratique viendront avec.

Selon l’établissement choisi et le vétérinaire présent, l’expérience sera totalement différente. Harmoniser les pratiques permet de garantir un standard, de revoir les clients avec un nouvel animal après l’euthanasie et de prévenir des plaintes en déontologie. L’euthanasie fait partie des motifs de plaintes les plus courants. Et ce n’est pas parce que la procédure n’a pas atteint son objectif. C’est la preuve que nous devons encore faire mieux pour préparer les familles à ce moment délicat.

Voici quelques astuces développées au fil des années, des erreurs et des bons coups, pour y apporter plus de valeur pour nous, l’équipe vétérinaire, mais aussi pour les familles et les animaux.

Un bon cocktail pour faire baisser la pression

L’anticipation des réactions imprévisibles physiques de l’animal et psychologies de la famille est une source de stress certaine. Pour mettre fin à cette tyrannie, la transition vers une sédation profonde avec absence complète de réaction de l’animal s’impose comme une solution simple à appliquer et dont beaucoup se privent encore. De 19,7 %(2) à 25 %(3) des vétérinaires, ne donne pas de sédation pré-euthanasie alors que AAHA, AVMA, HABRI et CAETA la recommandent.

L’utilisation de plusieurs molécules diminue les effets secondaires de chacune et leur potentiel. Le mélange d’alpha2-agonistes, de dissociatif, d’opioïdes et d’acépromazine pour prévenir les nausées est une solution abordable à tous qui calmera l’animal et par ricochet, la famille. L’animal semblera dormir, respirera profondément et n’aura aucune réaction physique aux manipulations suivantes. Les réactions indésirables de fasciculations musculaires ou de respirations apneustiques seront aussi diminuées. La préparation d’un pré-mix diminue le stress des calculs des doses et fait sauver du temps. La formation approuvée RACE et gratuite Oral and Injectable Pre-euthanasia sedation protocos(4) permet de se familiariser avec les différents protocoles incluant des protocoles oraux pour animaux réactifs. Une autre façon de diminuer le stress et de protéger notre équipe de blessures graves inutiles.

Le savoir c’est le pouvoir

Ce qui tue dans le milieu vétérinaire, c’est de se sentir imposteur. C’est souvent le cas avec l’euthanasie dû au manque de formation dans les programmes vétérinaires. Dans une étude de 2021 réalisée au Brésil, 78 % des 234 vétérinaires, dont 83 % avaient terminé leurs études entre 2006 et 2021, considéraient ne pas avoir eu de formation en lien avec l’euthanasie(5). Même constat qu’en Nouvelle-Zélande(2). Encore plus inquiétant, 71 % disaient ne pas avoir abordé les aspects éthiques, psychologiques et de santé mentale(5). Alors que les vétérinaires femmes sont 3,5 fois plus à risque et que les vétérinaires hommes 2,1 fois sujets à s’enlever la vie(6). De plus, 9 % des vétérinaires éprouvent de la détresse, 1/3 de l’anxiété et 1/6 a envisagé le suicide selon une étude publiée dans JAVMA en 2019(7).

C’est donc aux établissements vétérinaires que revient la responsabilité de former leur personnel. La plateforme de formation Practical Classes in Small Animal Veterinary Euthanasia(1 ) approuvée RACE et gratuite, permet de mettre l’équipe au diapason avec des modules sur la communication positive, la sédation, la crémation et des stratégies pour maintenir sa santé mentale. La formation permet de s’outiller afin de ressentir de la satisfaction de compassion, concept développé par Dr Kathy Cooney, leader d’opinion américaine en fin de vie vétérinaire et fondatrice du Companion Animal Euthanasia Training Academy (CAETA) et qui fait ressentir au professionnel qu’il a tout fait en son pouvoir pour accompagner la famille et l’animal dans cette épreuve.

Protéger la dignité

Une étude réalisée sur 1938 propriétaires d’animaux aux États-Unis en 2020 a démontré que le sac de plastique pour la disposition de la dépouille de leur animal est une solution acceptable pour seulement 15.6 % des participants(8). Il est aujourd’hui ardu de justifier ce choix pour le client sans le consulter alors que des options abordables comme EUTHABAG sont disponibles. Notre déontologie nous indique de choisir la meilleure option ou d’en discuter avec le client. L’AVMA dans sa politique de disposition des corps des animaux de compagnie(9) stipule :

« Les animaux décédés, dans la mesure du possible, doivent être maintenus dans un état présentable au propriétaire ou au prestataire de soins, de sorte que la famille puisse assister à la disposition. »(9)

Plus respectueuses, pratiques et hygiéniques, ces solutions apaisent non seulement la famille, mais aussi l’équipe vétérinaire qui se sent au diapason avec la famille et les standards de pratique actuels.

Impliquer la famille

La décision de l’euthanasie est une des plus déchirantes de la vie. Autant que de changer de travail ou de conjoint. Il faut outiller les familles pour cette épreuve. La qualité de vie ne se résume pas à l’appétit. De nombreux outils convenant à tous types de profil; application, journal de bord, questionnaire, poèmes sont disponibles. Les applications Grey Muzzle et de la Grimace féline sont incontournables en plus d’être gratuites. Le questionnaire de qualité de vie Est-ce que le moment est venu(10), éclaire la décision en intégrant l’hygiène, le sommeil, de l’activité et de la mobilité. Il permet à la famille d’engager des discussions éclairées et de suivre l’évolution de la qualité de vie de leur animal.

Le rituel facilitant le deuil

La perte d’un être cher implique une perte de contrôle anxiogène. Les rituels sont importants dans l’acceptation de la perte de quelque chose qui nous est cher en permettant la réappropriation d’une sensation de contrôle apaisante. Ce sont de puissants mécanismes de gestion des émotions extrêmes et du stress dont le potentiel a été étudié à Harvard(11).

Pour la perte d’un animal, les rituels manquent. Contrairement aux êtres humains, aucune cérémonie ne sera organisée afin d’appuyer les personnes subissant la perte. Décorer une housse mortuaire procure à la famille et à l’équipe vétérinaire le sentiment de protéger la dignité de l’animal, d’honorer sa mémoire avec des mots et des images qui lui sont uniques et d’accompagner l’animal pour la prochaine étape. Écrire une lettre, dessiner, accompagner l’animal de son objet fétiche, améliore la dernière image laissée à la famille et transforme l’euthanasie en une expérience significative à la symbolique forte. Un hommage à la hauteur du lien avec ce personnage unique qui marque les vies.

 

« Si le médecin soigne l’homme, rappelons-nous que le vétérinaire soigne l’humanité »

Yvan Petrovitch Pavlov, prix Nobel de médecine et de physiologie en 1904

Références

  1. State of the veterinary profession: Euthanasia in practice. DVM360s 2015 survey. https://www.dvm360.com/view/state-veterinary-profession-euthanasia-practice

  2. Gates MC, Kells NJ, Kongara KK & Littlewood KE (2023) Euthanasia of dogs and cats by veterinarians in New Zealand: protocols, procedures and experiences. New Zealand Veterinary Journal, DOI: 10.1080/00480169.2023.2194687

  3. Sondage fait par l’auteur durant un webinaire sur la sédation préeuthanasie avec 90 vétérinaires canadiens en 2020.

  4. Practical Classes in Small Animal Euthanasia. www.veterinaryeuthanasiaeducation.com

  5. Deponti, P.S. et al. Veterinarian's perceptions of animal euthanasia and the relation to their own mental health. Clinic and surgery, Cienc. Rural Santa Maria, v.53:5, e20210578, 2023. https://doi.org/10.1590/0103-8478cr20210578

  6. Randall J. et al. Risk factors for suicide, attitudes toward mental illness, and practice-related stressors among US veterinarians. JAVMA 2015; 247: 945-955. https://doi.org/10.2460/javma.247.8.945

  7. Tomasi et al. Suicide among veterinarians in the United States from 1979 to 2015. JAVMA 2019; 254:104-112. https://doi.org/10.2460/javma.254.1.104

  8. Cooney, K, Koghan L, Brooks S, Ellis C. Pet Owners' Expectations for Pet End-of-Life Support and After-Death Body Care: Exploration and Practical Applications, 2020. Topics in Companion An Med 2020;43 100503. https://doi.org/10.1016/j.tcam.2020.100503

  9. AVMA Companion Animal Aftercare Policy: Handling of companion animal remains. https://www.avma.org/resources-tools/avma-policies/handling-companion-animal-remains. The AVMA Companion Animal Aftercare Policy is licensed under CC BY-NC-ND. EUTHABAG products are in no way affiliated with, sponsored or endorsed by the AVMA.

  10. How do I know if it's time? Developed by Ohio University and adapted by EUTHABAG. https://www.euthabag.com/handouts

  11. Nobel, C. The power of Rituals in Life, Dearth, and Business. Business Research for Business Leaders. Research and Ideas. June 2013. https://hbswk.hbs.edu/item/the-power-of-rituals-in-life-death-and-business